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Ordres professionnels - Nouveaux griefs disciplinaire en appel : communication sans fondement (CE, 24 octobre 2018, n° 404660)

Le Conseil d'Etat est revenu sur la possibilité, pour la juridiction ordinale de fonder sa décision de sanction sur des griefs nouveaux, qui n'ont pas été dénoncés dans la plainte soumise à la chambre disciplinaire de première instance,


Il doit pour cela communiquer ces nouveaux griefs afin de mettre l'intéressé en mesure de présenter ses observations sur les nouveaux griefs (v. ce qui avait déjà été jugé dans l'arrêt CE, 15 décembre 2010, n° 329246, B ; CE, 10 juillet 2017, n° 385419, B)


Pour autant, l'information n'a pas à porter sur la qualification juridique préssentie, ce qui est une précision nouvelle de ce présent arrêt.


L'arrêt est également intéressant car il confirme que ne vicie pas la procédure l'absence de communication des griefs nouveaux si le praticien mis en cause a lui-même relevé ce grief et s'est utilement défendu sur ce dernier (au contraire si le grief n'est pas relevé ni communiqué, la procédure est viciée : CE, 24 octobre 2018, n° 405018).


CE, 24 octobre 2018, n° 404660 : Mentionné dans les tables du Recueil Lebon


1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B..., chirurgien-orthopédiste, a, le 28 juin 2013, alors qu'il exerçait ses fonctions au sein de l'établissement " Les cliniques d'Ajaccio ", refusé au dernier moment de pratiquer une intervention programmée sur une patiente âgée de quatre-vingt deux ans, alors qu'il avait non seulement confirmé la tenue de cette intervention auprès de sa patiente et fait venir un confrère anesthésiste-réanimateur en le laissant procéder à une anesthésie générale mais aussi, sachant par avance qu'il ne pourrait disposer d'une aide opératoire pour cette opération, convoqué un huissier afin que celui-ci constate que cette absence d'aide opératoire l'empêchait de travailler dans des conditions satisfaisantes ; que, par une décision du 30 janvier 2015, la chambre disciplinaire de première instance de Provence-Alpes-Côte d'Azur et Corse de l'ordre des médecins a infligé à M. B...la sanction d'interdiction d'exercer la médecine pendant six mois, dont trois mois avec sursis ; que, par une décision du 4 octobre 2016 contre laquelle le praticien se pourvoit en cassation, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a rejeté l'appel formé par M. B...contre cette décision ; 

2. Considérant que les juridictions disciplinaires de l'ordre des médecins, saisies d'une plainte contre un praticien, peuvent légalement connaître de l'ensemble du comportement professionnel de l'intéressé, sans se limiter aux faits dénoncés dans la plainte ni aux griefs articulés par le plaignant ; qu'à ce titre, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins peut légalement se fonder, pour infliger une sanction à un médecin, sur des griefs nouveaux qui n'ont pas été dénoncés dans la plainte soumise à la chambre disciplinaire de première instance, à condition toutefois d'avoir mis au préalable l'intéressé à même de s'expliquer sur ces griefs ; qu'elle n'est, en revanche, pas tenue de communiquer préalablement aux parties le choix, qui lui incombe, de la qualification juridique des griefs au regard des dispositions du code de déontologie médicale ; 

3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article R. 4127-2 du code de la santé publique : " Le médecin, au service de l'individu et de la santé publique, exerce sa mission dans le respect de la vie humaine, de la personne et de sa dignité (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 4127-35 du même code : " Le médecin doit à la personne qu'il examine, qu'il soigne ou qu'il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu'il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension (...) " ; qu'enfin, aux termes de l'article R. 4127-40 du même code : " Le médecin doit s'interdire, dans les investigations et interventions qu'il pratique comme dans les thérapeutiques qu'il prescrit, de faire courir au patient un risque injustifié " ;

4. Considérant qu'il ressort des termes mêmes de la décision attaquée que, pour infliger à M. B...la sanction litigieuse, la chambre disciplinaire nationale a, notamment, retenu que son attitude à l'égard de sa patiente âgée avait porté atteinte à la dignité de cette dernière, en violation des dispositions de l'article R. 4127-2 du code de la santé publique, lui avait fait courir un risque injustifié, en violation des dispositions de l'article R. 4127-40 du même code, et constituait un manquement à son obligation d'information loyale, prévue par les dispositions de l'article R. 4127-35 du même code ; que M. B...soutient que la chambre disciplinaire nationale devait l'inviter à présenter préalablement sa défense sur cette troisième qualification juridique ;

5. Considérant, toutefois, qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la plainte présentée par la société Les cliniques d'Ajaccio contre M. B...en première instance comportait le grief, d'ailleurs retenu par la chambre disciplinaire de première instance, tiré de ce qu'il n'avait, en mettant ainsi en danger sa patiente, prévenu personne de son intention d'annuler l'opération programmée en cas d'absence, pourtant anticipée par lui, d'une aide opératoire ; que, M. B...ayant pu utilement présenter sa défense sur ce grief, la chambre disciplinaire nationale a pu, sans irrégularité, le retenir comme fondement de la sanction qu'elle a prononcée en le qualifiant non seulement, ainsi que l'avaient déjà fait les premiers juges, d'atteinte à la dignité de la patiente et de mise en danger injustifiée, méconnaissant les articles R. 4127-2 et R. 4127-40 du code de la santé publique, mais aussi de manquement à l'obligation d'information loyale de cette même patiente, méconnaissant les dispositions de l'article R. 4127-35 du même code ;

6. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article R. 4127-56 du code de la santé publique : " Les médecins doivent entretenir entre eux des rapports de bonne confraternité (...) " ; qu'il ressort des termes mêmes de la décision attaquée que, pour infliger à M. B...la sanction litigieuse, la chambre disciplinaire nationale a notamment retenu que son attitude à l'égard du médecin anesthésiste-réanimateur, qu'il n'avait pas davantage mis au courant de son intention de ne pas procéder à l'opération, a méconnu l'obligation de confraternité ;

7. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le grief tiré de la faute disciplinaire commise, le jour de l'opération chirurgicale, par M. B... à l'égard de son confrère anesthésiste-réanimateur, s'il n'a pas été invoqué dans la plainte de la société Les cliniques d'Ajaccio soumise à la juridiction de première instance, a, en revanche, été ensuite relevé par la société, tant dans son mémoire en réplique devant la chambre disciplinaire régionale que dans son mémoire en défense devant le juge d'appel, mémoires qui ont été communiqués à M. B...dans le cadre de l'instruction contradictoire ; que M. B... a, par suite, été mis à même de s'expliquer utilement sur ce grief ; qu'il n'est, dès lors, pas fondé à soutenir qu'en ne procédant pas elle-même à la communication préalable de ce grief, la chambre disciplinaire nationale aurait entaché sa décision d'irrégularité ;

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