Délégation de service public : Sanction de la modification d'une clause déséquilibrant l'économie du contrat durant la négociation
Une modification négociée du contrat de délégation de service public qui a
pour conséquence de permettre, même éventuellement, que soit
réduite significativement la durée du contrat et que soient substantiellement
limités les investissements affecte de manière excessive l'économie
générale du projet de convention et constitue un manquement aux
obligations de mise en concurrence de nature à entrainer
l'annulation de la phase de négociation.
La délégation de service public de
chauffage urbain du Grand Lyon, manifestement victime d'un esprit
frappeur, vient encore de connaître une péripétie judiciaire.
En effet, le Conseil d'Etat a, par une
ordonnance de référé précontractuel rendue le 21 février
dernier, confirmé l'annulation de la phase négociation de la
procédure conduite en vue de la signature de la nouvelle DSP de
production et de distribution de chaud et froid sur le territoire des
communes de Lyon, de Villeurbanne et Bron.
Les faits qui ont conduit à cette
annulation sont simples. La Communauté Urbaine de Lyon ayant permis
au candidat de proposer des modifications des clauses du contrat
durant la phase de négociation, la société Dalkia a fait usage de
cette possibilité pour prévoir une possibilité de basculer sur un
contrat minimal en cas de recours contentieux contre les documents
contractuels ou les actes détachables de la DSP.
Dans cette
hypothèse, en lieu et place des vingt-cinq années et 172 millions
d'euros d'investissement, la délégation aurait pu être réduite à
un maximum de quatre années et 37 millions d'euros d'investissement,
sans compter les 38 millions de reprise des investissements de
l'ancien délégataire. Plus précisément, tout en restant
schématique, la survenance d'un recours aurait permis, au terme d'une
phase de concertation entre les parties, de réduire très
substantiellement le programme d'investissements mis à la charge du
délégataire par le contrat et, si au bout de quatre ans le litige
n'était pas définitivement tranché, de subordonner la poursuite de
l'exécution de la convention à l'accord des parties, ce qui donnait
au délégataire le pouvoir de s'y opposer unilatéralement.
Le concurrent évincé, Cofely GDF
Suez, a exercé un référé précontractuel contre la procédure qui
a abouti à l'attribution du contrat à Dalkia.
Le juge du référé précontractuel du
Tribunal Administratif de Lyon a annulé la phase de négociation par
une ordonnance du 21 octobre 2013. Saisi d'un pourvoi présenté par
l'attributaire du contrat, Dalkia, le Conseil d'Etat a confirmé
l'ordonnance du juge des référés précontractuel du Tribunal
Administratif de Lyon.
Pour aboutir à cette solution le
Conseil d'Etat, est parti du principe posé par l'arrêt Syndicat
intercommunal de la côte d'Amour et de la presqu'île guérandaise
qui établit que « la personne responsable de la passation du
contrat de délégation de service public peut apporter, au cours de
la consultation engagée sur le fondement des dispositions de
l'article L.1411-1 du code général des collectivités
territoriales, des adaptations à l'objet du contrat qu'elle envisage
de conclure au terme de la négociation lorsque ces adaptations sont
d'une portée limitée, justifiées par l'intérêt du service et
qu'elles ne présentent pas, entre les entreprises concurrentes, un
caractère discriminatoire » (CE, 21 juin 2000, Syndicatintercommunal de la côte d'Amour et de la presqu'île guérandaise,n° 209319 : Rec. CE, p. 283).
C'est au regard de ce principe que le
juge de cassation a contrôlé la qualification juridique opérée en
première instance. Le juge des référés du Conseil d'Etat a, en
effet, estimé « qu'en retenant que la modification apportée à
l'article 2 du projet de convention affectait de manière excessive
l'économie générale du projet de convention et méconnaissait par
suite l'article 3.2 du règlement de la consultation, dès lors
qu'elle permettait au délégataire, dans le cas où un recours
administratif ou contentieux à l'encontre de la convention ou de ses
actes détachables n'aurait pas été définitivement réglé au
cours des quatre premières années de l'exécution du contrat, d'une
part, d'exiger de l'autorité délégante qu'elle résilie de plein
droit le contrat dont la durée pouvait ainsi être réduite des cinq
sixièmes, d'autre part, de limiter substantiellement le montant des
investissements nouveaux auxquels il s'engageait, le juge des référés
n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce ».
Ainsi, le Conseil d'Etat considère
qu'une modification du contrat de DSP durant la négociation qui a
pour conséquence de permettre, même éventuellement, que soit
réduite de cinq sixièmes la durée du contrat et que soient substantiellement
limités les investissements affecte de manière excessive l'économie
générale du projet de convention et constitue un manquement aux
obligations de mise en concurrence de nature à entrainer
l'annulation de la phase de négociation.
Si l'analyse développée par le
Conseil d'Etat est très empreinte des données de l'espèce, il est
possible d'en tirer une constante : une clause introduite par la
négociation qui aurait pour conséquence, même éventuelle, de
réduire significativement la durée de la délégation, disons de
moitié et plus, et, surtout, de limiter substantiellement les
investissements sur lesquels l'attributaire s'engage s'analyse en un
bouleversement de l'économie générale du projet de convention de
DSP et est de nature à entrainer l'annulation d'une partie de la
procédure par le juge du référé précontractuel.
Pour préciser les limites qu'entend
poser le Conseil d'Etat, il apparaît éclairant d'opérer un
rapprochement avec les arrêts contrôlant la portée des avenants à
un marché public (v. par exemple CE sec., 11 juillet 2008, Ville de Paris, n° 312354 : Rec. CE, p. 270 dans lequel un avenant
stipulant un renchérissement de 8% maximum du montant du marché
avait été jugé régulier).
Les Collectivités vont donc devoir
redoubler de vigilance dans l'analyse des modifications du projet de convention présentées
par les candidats dans la phase de négociation de la DSP. D'une part
car les modifications proposées sont parfois léonines et d'autre
part désormais car les garanties excessives que tentent d'imposer
les candidats peuvent entrainer l'annulation d'une partie de la
procédure, en l'espèce la négociation.
Il s'agit d'être d'autant plus
vigilant que le Conseil d'Etat refuse ici de "sauver" la procédure en
faisant usage de la possibilité dont dont dispose de juge du référé
précontractuel de supprimer « les clauses ou prescriptions
destinées à figurer dans le contrat, telles qu'elles ressortent des
documents de la consultation communiqués aux candidats, lorsque ces
clauses ou prescriptions méconnaissent les obligations de publicité
ou de mise en concurrence auxquelles est soumise la personne
publique » (L. 551-2 CJA) puisqu'une une telle suppression
aurait pour effet de modifier l'offre du candidat ayant négocié la
clause litigieuse et non pas le projet de convention inclus dans les
documents de la consultation.