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Note à propos de l'arrêt Conseil d'Etat, 11 avril 2008, Etablissement Français du Sang

La règle de la décision préalable (CJA art. R. 421-1) énonce que le contentieux doit être lié par une décision explicite ou implicite de rejet de la part de l'Administration. Cette règle demeure même si la jurisprudence a fait preuve de libéralisme en permettant de larges possibilités de régularisations postérieures à l'introduction du recours.



En fait, le dernier îlot de rigueur de la juridiction administrative, interdisant la liaison du contentieux par régularisation postérieure à l'introduction de l'instance, du défaut de décision préalable se situait dans les cas où l'Administration opposait, pour cette raison, une fin de non recevoir à titre principal. L'arrêt Association Club Athlétique de Mantes-la-Ville avait, en effet, considéré que l'irrecevabilité pour défaut de décision préalable était une irrecevabilité insusceptible « d'être couverte en cous d'instance dès lors qu'elle est expressément opposée » par l'administration défenderesse (CE sec., 13 juin 1984, Association Club Athlétique de Mantes-la-Ville). Par l'arrêt Quille (CE, 21 février 1997, Quille), la fin de non recevoir à titre principal opposée par l'Administration faisait obstacle à la régularisation postérieure du défaut de décision préalable.

L'arrêt Pfirmann a opéré un infléchissement de cette jurisprudence rigoureuse en considérant que la fin de non recevoir opposée par l'Administration est sans effet sur la recevabilité du recours si le requérant dépose ensuite sa demande préalable d'indemnisation, fait naitre une décision implicite de rejet, et introduit un mémoire contenant des conclusions additionnelles dirigées contre cette décision. (CE, 20 février 2002, Pfirrmann).

La complexité qu'induisait la solution de l'arrêt Pfirrmann a conduit le Conseil d'Etat à clarifier, une bonne fois pour toutes, les règles gouvernant les possibilités de régularisation de la liaison du contentieux.

Ce fut fait par l'arrêt du 11 avril 2008, Etablissement Français du sang. Cet arrêt établit que « Considérant qu'aucune fin de non-recevoir tirée du défaut de décision préalable ne peut être opposée à un requérant ayant introduit devant le juge administratif un contentieux indemnitaire à une date où il n'avait présenté aucune demande en ce sens devant l'administration lorsqu'il a formé, postérieurement à l'introduction de son recours juridictionnel, une demande auprès de l'administration sur laquelle le silence gardé par celle-ci a fait naître une décision implicite de rejet avant que le juge de première instance ne statue, et ce quelles que soient les conclusions du mémoire en défense de l'administration ; que lorsque ce mémoire en défense conclut à titre principal, à l'irrecevabilité faute de décision préalable et, à titre subsidiaire seulement, au rejet au fond, ces conclusions font seulement obstacle à ce que le contentieux soit lié par ce mémoire lui-même ; »
C'est-à-dire que, désormais, en contentieux indemnitaire, le défaut de décision préalable peut être régularisé, jusqu'à ce que le juge ne statue, par une décision implicite de rejet consécutive à une demande préalable postérieure à l'introduction du recours, quand bien même une fin de non recevoir aurait été opposée à titre principal par l'Administration. Cela fait disparaître également, par là, l'exigence, introduite par Pfirrmann, de contester la décision implicite par des conclusions additionnelles, jugées dès lors surabondantes. Il suffit, à tout moment de l'instance de faire naitre une décision implicite de rejet et de la communiquer au juge. Tel est, in extenso, l'apport de l'arrêt Etablissement Français du Sang, résultant de ses faits et de sa lettre.

Malgré cette simplification manifeste par rapport à la jurisprudence Pfirrmann, il reste des interrogations sur la portée de cette solution.

Comme le soulève le Professeur Guylain Clamour1, si la décision, prise suite à la demande, intervenant après qu'une fin de non recevoir ait été opposée, est une décision expresse de refus, il est difficile de voir en quoi la solution pourrait être différente, sinon prêter à cette décision la volonté de renverser l'arrêt Levrey qui admet que la liaison du contentieux peut se trouver régularisée par l'intervention d'une décision expresse de rejet en cours d'instance (CE, 30 novembre 1979, Ministre de la justice c/ Levrey). D'autant plus que le commissaire du gouvernement, Jean-Philippe Thiellay, dans ses conclusions sous la décision2 ne fait pas la différence entre décision explicite et décision implicite et qu'il serait inédit que la forme de la solution retranche des droits à l'administré.


Pour ce qui est de l'application de la jurisprudence Etablissement Français du Sang dans d'autres contentieux que le recours indemnitaire, la question reste également ouverte. S'il est difficile de concevoir comment cette jurisprudence pourrait trouver application dans le cas des Recours pour Excès de Pouvoir contre des actes d'initiative publique3, celle-ci pourrait trouver application, par exemple dans le cas des Recours pour Excès de Pouvoir ou pour des Recours objectif de pleine juridiction, assortis d'une action en responsabilité, que les justiciables peuvent intenter contre les actes administratifs devenus illégaux, si ceux-ci saisissent le juge sans auparavant effectuer auprès de l'Administration auteur de l'acte une demande d'abrogation. Le défaut de liaison du contentieux serait-il alors régularisable, si l'Administration défenderesse oppose une fin de non recevoir alors que le justiciable n'a pas encore demandé l’abrogation ? Cette question n'a pas encore été vraiment été tranchée par le Conseil d'Etat et il paraît bien aventureux de se prononcer.

Enfin, la dernière question que pose l'arrêt se situe sur le rôle du juge dans la possibilité de régulariser le défaut de liaison du contentieux, faute de décision préalable.


Il incomberait au juge de constater qu'aucune décision préalable n'est présente au dossier à instruire, de soulever d'office ce motif d'irrecevabilité et d'inviter le requérant à régulariser sa requête en application de l'article R. 612-1 du code de justice administrative. Maitre Laetitia Janicot4, s'appuyant sur les conclusions du commissaire Thiellay exprime la crainte que le juge n'attende pas soit le récépissé de la demande, soit même la réponse, décision implicite ou explicite de rejet, à la demande préalable postérieure et que le président de Tribunal administratif ne rejette pour irrecevabilité manifeste au titre de l'article R. 222-12 4° CJA, dès l'expiration du délai de quinze jours que doit laisser le juge à la suite d'une demande de régularisation. Néanmoins il est à souligner que l'esprit libéral qu'irrigue cette jurisprudence Etablissement français du Sang est difficile à concilier avec une telle rigueur, à moins que l'ensemble du dossier soit vraiment indigent.

Pour conclure, il convient donc de rappeler que, si au sortir de cette décision, il paraît, dans tous les cas pleinement régularisable, le défaut de décision préalable reste un moyen d'ordre public qui peut entrainer l'irrecevabilité de la requête du requérant.

Notes et commentaires afférents à l'affaire :
  • Conclusions du commissaire du Gouvernement Jean-Philippe Thiellay : PA, 29 aout 2008 n°174, p. 9
  • Commentaire du Professeur Guylain Clamour : Régularisation du défaut de décision préalable : vers la fin des liaisons dangereuses du contentieux, AJDA 2008, p. 1215 
  • Commentaire de Serge Deygas Procédure n°11, Novembre 2008, comm. 314 
  • Etude du Conseiller Xavier Potter, L'acceptation de l'instance par l’administration : un Lazare doctrinal définitivement mort ?, AJDA 2008 p. 1696 
  • Note du Professeur Bernard Pacteau PA, 19 aout 2009 n°166, p 12 
  • Note de Maitre Mathilte Janicot DA, n°3, Mars 2009, comm. 44 
  • Note C. Paillard JCP A. n° 48, 24 Novembre 2008, 2272 
  • Note A. Claeys PA, 1er décembre 2008 n° 240, p. 6

1Comm. G. Clamour, Régularisation du défaut de décision préalable : vers la fin des liaisons dangereuses du contentieux, AJDA 2008, p. 1215
2Concl. JP.Thiellay, PA, 29 aout 2008 n°174, p. 9
3Note B. Pacteau, PA, 19 aout 2008 n° 166, p. 12
4Comm. M. Janicot, DA n°3, Mars 2009, comm. 44

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